Et si nous étions aussi coupables dans cette crise que traverse le monde du vin ?

Le monde du vin traverse une sacrée tempête en ce moment : déconsommation, réchauffement planétaire, et j’en passe. On entend tout et son contraire pour expliquer ce marasme. Les aléas climatique, le marché qui n’arrive pas à capter l’attention des jeunes générations, des vins inadaptés, des règles désuètes… Bref, on cherche des coupables un peu partout.

Franchement, ça me trotte dans la tête depuis un moment. J’ai pris le temps de réfléchir sérieusement (oui, ça m’arrive !) et de discuter avec tout un tas de personnes : des vignerons, des revendeurs, des sommeliers, le président de l’association de la sommellerie internationale, des collègues journalistes, même quelques chefs. Et vous savez quoi ? Je crois que nous avons tous une part de responsabilité dans cette situation.

Quand je dis “nous”, je parle du “deuxième monde” du vin. Ceux qui ne produisent pas et qui, au final, consomment assez peu. Les sommeliers, les restaurateurs, les journalistes, les influenceurs, les cavistes, la grande distribution, et tous les autres acteurs qui gravitent autour de cette planète viticole sans forcément mettre les mains dans la terre.

Alors oui, les producteurs ont leur lot de remises en question à faire. Même s’il y a des exceptions, des vignerons vertueux, des lanceurs d’alerte, des collectifs qui bougent les lignes. Globalement, il manque une vision, une compréhension, et surtout une réaction originale et créative. Se plaindre et demander des aides, c’est bien joli, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick. Il faut oser emprunter de nouveaux chemins. Je n’ai pas la solution miracle, loin de là. Mais quand je vois que certains s’en sortent mieux que d’autres, je me dis qu’il y a des pistes à explorer. Et attention, je ne parle pas de se lancer dans des cocktails improbables à base de Sauternes et de tonic, ou de transformer des grands crus en sangria sans oublier quelques délires à base d’agrumes pour tenter de donner un nouvel élan au marché du rosé médiocre alors qu’il en existe tant de bons. Le tout pour attirer un public qui, soyons honnêtes, n’est peut-être pas la cible idéale.

On entend souvent dire que les jeunes ne boivent plus de vin et qu’on ne sait pas comment les séduire.  Est-ce vraiment nouveau ? De tout temps, les jeunes ont toujours eu d’autres centres d’intérêt. L’âge où l’on commence à s’intéresser au vin, c’est souvent autour de la trentaine, quand on commence à se poser, à fonder une famille. C’est là qu’on cherche à oublier un peu la perte de liberté que ça implique, et qu’on découvre les plaisirs d’une bonne bouteille. Alors oui, ce moment recule un peu ces dernières années, mais pas au point de bouleverser le marché même en le couplant a une dénatalité certaine.

Sur les marchés matures, la consommation semble rester relativement stable. Ça baisse un peu, mais rien de dramatique. C’est plutôt sur les marchés émergents, qu’on voyait comme le nouvel Eldorado, que ça coince. La Chine, par exemple, n’a pas explosé comme on l’espérait. Du coup, on arrache des milliers d’hectares, à Bordeaux, dans le Roussillon etc…

Il y a un truc qui me chiffonne vraiment, et c’est là que je veux en venir. Je suis actuellement à Belgrade, en Serbie, pour suivre la finale du concours du Meilleur Sommelier d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient. En gros, c’est presque un championnat du monde. J’ai assisté aux épreuves de demi-finale aujourd’hui. Ce n’est pas exactement une première pour moi, ma première participation, en tant que candidat à l’époque, remonte à 1990. Je suis un Vinosaure, il me faut le constater. En matière de concours, je n’ai loupé aucune finale de championnat du monde depuis au moins pfffffff…Diogène, facilement. En regardant les candidats, une question m’a frappé : « à force d’intellectualiser le vin, est-ce qu’on ne l’a pas rendu trop complexe, trop élitiste, et finalement inaccessible pour beaucoup de gens ? »
Je m’explique. Quand je vois les tics de langage des diplômés des systèmes anglo-saxons, les mêmes mots répétés à l’infini, les commentaires formatés, je me demande où est passée notre personnalité, notre libre arbitre. Est-ce qu’on n’a pas perdu un désir pour le vin, celui qui vient des tripes, en cherchant à standardiser notre monde ?

Quand un amateur lambda demande un avis sur une bouteille, il mérite une réponse claire, sincère, sans jargon inutile. Pas besoin de le noyer sous des termes techniques qui ne font que le décourager. À force de vouloir donner au vin des lettres de noblesse, on a oublié qu’il est avant tout un lubrifiant social, un plaisir simple, un moment de partage. Il est peut-être temps de redescendre sur terre. De retrouver la convivialité, la simplicité. De se rappeler que le vin, c’est fait pour être bu, apprécié, sans chichis. Baudelaire disait qu’il faut s’enivrer, pas seulement de vin, mais de poésie, de vertu… Bref, de tout ce qui nous fait vibrer. On devrait peut-être s’en inspirer un peu.

Je critique le manque de simplicité, et pourtant je cite Baudelaire. Personne n’est parfait ! Mais plus sérieusement, je pense qu’on s’est un peu perdus en chemin. À nous, gens du “deuxième monde”, de promouvoir le plaisir, l’hédonisme dans ce qu’il a de plus simple, sans tomber dans l’excès ou l’exclusivité.

Je me souviens d’un temps où le vin était synonyme de convivialité sans prétention. On s’asseyait autour d’une table, on débouchait une bouteille sans se soucier de l’étiquette ou du millésime. Ce qui comptait, c’était le moment partagé, les rires, les discussions qui s’éternisaient jusqu’au bout de la nuit. Le vin était un compagnon, pas un objet de prestige.

Aujourd’hui, j’ai l’impression que la spontanéité pour le vin s’est estompée. On est submergés par des critiques, des notes, des classements. On nous dit quoi boire, quand le boire, comment le boire. Et si on reprenait notre liberté de pensée ? Choisir une bouteille parce qu’elle nous fait de l’œil, parce qu’on a envie de l’essayer, sans se soucier du qu’en-dira-t-on.

 

« A force d’intellectualiser le vin, ne l’avons-nous pas rendu plus ésotérique encore que pour les générations passées, et, partant, inaccessible à bien trop de gens aujourd’hui ? »

Je pense notamment à ces soirées où l’on découvre une bouteille par hasard, recommandée par un ami ou un caviste passionné. On la goûte sans a priori, et parfois, c’est la révélation. Ce sont ces moments-là qui ravivent le **désir** pour le vin, qui nous rappellent pourquoi on l’aime tant.

Il faut aussi repenser notre manière de parler du vin. Arrêter de le sacraliser à outrance. Oui, c’est un produit noble, chargé d’histoire et de traditions, mais c’est avant tout une boisson faite pour être partagée. Simplifions notre discours, rendons-le accessible. Parler du vin, c’est raconter une histoire, celle de la terre, du vigneron, du millésime. Mais c’est aussi évoquer les émotions qu’il procure, les souvenirs qu’il crée.

En renouant avec cette approche plus humaine et moins technique, on pourra peut-être attirer de nouveaux amateurs. Des gens qui n’osaient pas s’intéresser au vin par peur de ne pas avoir les codes, de ne pas être “à la hauteur”. Ouvrons les portes, faisons tomber les barrières. Le vin n’est pas réservé à une élite, il est pour tout le monde.

 

Il y a bien eu au tournant du millénaire un début de mouvement dans le monde des naturistes. Des étiquettes simplistes, avec des jeux de mots pendables, pour des vins se revendiquant simples et joyeux. Hélas, trois fois hélas, ce monde est rapidement devenu une caricature de lui-même et s’est érigé en chapelle, en religion même pour certains. Aussi intolérante que toutes les autres, vouant au Dieu Naturel un culte parfois contre nature, rejetant tout ce qui n’est pas eux. En fait, c’est tout à fait dans l’air du temps. Alors que l’ouverture, même a ceux qui n’y croyaient pas ; surtout à ceux-là, aurait été un mouvement probablement gagnant. Aujourd’hui on est plus proche d’une attitude d’initiés que de l’œcuménisme.

 

Le vin doit redevenir un plaisir avant tout. Chacun a le droit d’aimer ce qu’il aime, sans avoir à se justifier. Il est temps de briser tous les codes, de sortir des sentiers battus. Il ne s’agit pas juste d’explorer d’autres zones, il faut pouvoir simplement comprendre ce que l’on aime. Ne jamais hésiter a savoir pourquoi, être curieux de tout et ne pas s’arrêter de découvrir d’autres vins à aimer. Se contenter d’un vin que l’on aime c’est s’exposer à l’ennui un jour ou l’autre.

Et si le Beaujolais Nouveau était une piste ?

Aux débuts de ma carrière, j’ai connu les derniers rayons des fêtes lors de sortie du Beaujolais Nouveau. Les principaux quotidiens de l’époque, fin des années 80 début 90, réunissait des jurys de joyeux drilles pour évaluer la qualité éventuelle des bouteilles qui arrivaient le troisième jeudi de novembre.  Ensuite vint la « bruelisation » des esprits doublée d’une fatigue technique vis-à-vis des vins parfois réellement médiocres de ce temps-là. On l’avait trop aimé, on avait trop hurlé Patriiiiiiiick, alors il fallait le détester. Sans savoir ce qui se passait, sans connaitre surtout. Depuis quelques années, principalement chez les surtout chez les jeunes urbains vaguement bohèmes, on marque le retour du Beaujolais Nouveau. Nature et pour le coup, c’est vraiment un modèle de vinification qui lui convient. On accompagne la chose de terrines canailles, de saucissons rustiques, de retours aux essentiels et on retrouve des racines sorties de la nuit des temps. On renoue doucement avec les libations, sans chichis, sans photos sur insta, sharring food, burrata ni autres brols inutiles du genre. Si cela ne redevient pas un autre Halloween, un autre moment commercial de plus, il y a peut-être quelque chose à trouver là-dedans. Un mouvement vers de la joie, du partage. Une redécouverte du vin pour le plaisir qu’il donne et pas pour le noter sur Vivinonos et autres étagères exhibitionnistes de l’époque.

 

On tient peut-être une piste pour redonner au vin sa place dans le cœur des gens.

 

Il y a un retour timide de cet esprit,. C’est encourageant.
Le numérique peut aussi être un allié. Utilisons les réseaux sociaux pour partager nos coups de cœur, nos découvertes, sans prétentions. Créons des communautés basées sur le partage et l’échange, plutôt que sur la compétition et la comparaison. Mais attention, gardons en tête que l’objectif n’est pas de briller, mais de transmettre une passion, un « désir » authentique.

En fin de compte, il s’agit de retrouver une place quotidienne pour le vin. Le sortir de sa tour d’ivoire et le ramener à la table familiale, aux apéros entre amis, aux pique-niques improvisés. Faire en sorte que l’envie de vin naisse spontanément, sans artifice.

Alors, pour revenir à notre responsabilité dans cette crise, je pense que nous avons un rôle à jouer. En tant que membres du “deuxième monde”, nous pouvons influencer les choses. En changeant notre façon de communiquer, en valorisant la simplicité, en encourageant le droit à choisir de chacun. Cessons de vouloir tout contrôler, de dicter ce qui est bon ou pas. Laissons les gens découvrir par eux-mêmes, se forger leur propre opinion. Après tout, le vin est une affaire de culture, d’apprentissage, d’évolution.

Il est temps de réinventer notre relation au vin. De faire en sorte qu’il redevienne une source de plaisir, de partage, d’échange sans jouer a celui qui pisse le plus loin. C’est peut-être en renouant avec ces valeurs simples que nous pourrons envisager de sortir de cette crise, ou du moins en atténuer les effets.

En conclusion, il est tard, la crise est là, indéniable. Pour en sortir il faut être résilient. Joyeux, heureux, partageur, ouvert aux autres, communiquant mais pas uniquement avec de jolies photos et des sites hyper-glamours pour épater la gallerie ou montrer comme nous sommes meilleurs que les autres. Il faut revenir aux racines élémentaires du plaisir, celui qui fait les rencontres, la vie plus belle. Nous avons cru qu’il fallait ajouter de la reconnaissance pour justifier les prix parfois scandaleusement élevés de certains bouteilles alors que pour être heureux il suffisait parfois de les éviter. Il n’y a pas à faire de Mea Culpa, il y a juste des questions à se poser. Rendons à nouveau le vin simplement désirable. N’oublions pas de profiter.

Nous avions le droit de nous tromper, nous n’avons plus celui de persister dans l’erreur.

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